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François Bayrou : « Je ne pense pas que la stigmatisation soit une bonne façon de convaincre les électeurs »

Mouvement Démocrate, 12 mars 2015

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François Bayrou était ce matin l’invité politique de Bruce Toussaint sur i>Télé.

François Bayrou est l’invité d’i>Télé ce matin. Bonjour !

Bonjour.

Merci d’être avec nous. François Hollande déclare dans Challenges qu’il n’y aura pas de changement de politique, ni de ligne, ni de Premier ministre. Un François Hollande droit dans ses bottes, c’est aussi ce que l’on attend d’un Président au fond, non ?

Oui, mais s’il y avait une ligne ferme et si cette ligne ferme était en cohérence avec ce qui a été promis aux Français pendant la campagne électorale et avec le socle d’une majorité qui le soutiendrait, ce serait exactement ce que l’on attendrait. Vous voyez les critiques que cela suppose de ma part. D’un côté je trouve que la ligne est peu affirmée, peu ferme. Deuxièmement, je trouve que cela n’est pas en cohérence avec ce qui a été dit ou laisser entendre aux Français et enfin ce n’est pas en cohérence avec la majorité. Ce sont les trois faiblesses. La gauche française est aujourd’hui dans un mécanisme d’explosion de séparation entre deux lignes politiques qui sont radicalement incompatibles. Cette incompatibilité nous conduit dans la situation d’aujourd’hui.

Il faudrait donc un changement de politique ?

Je ne dis pas cela. Il faudrait UNE politique, plus affirmée ou plus clairement affirmée, ce qu’elle n’est pas aujourd’hui et une politique qui s’attaque aux problèmes principaux qui expliquent la situation de la France. On peut les lister ces problèmes principaux : on a un problème très important d’Éducation nationale à laquelle les réformettes ne peuvent pas répondre, on a un problème de formation professionnelle, on a un problème d’illisibilité ou de complexité du droit du travail, on a un problème d’instabilité juridique et d’instabilité fiscale. Tout cela, ça fait beaucoup de problèmes auxquels pour l’instant l’on n’apporte pas de réponses.

Les départementales, c’est dans une dizaine de jours. On nous promet un raz-de-marée Front National. Est-ce inévitable d’ailleurs selon vous ?

Je ne dis pas que c’est inévitable ou que cela aurait été inévitable. Mais la situation fait que le Front National est le sujet unique de toutes les conversations que les responsables politiques gouvernementaux y compris – et c’est le plus grave – expriment à l’égard du pays. Il n’y a pas d’émission, il n’y a pas de journal d’information dans lequel le Front National ne soit pas le sujet central. Évidemment, cela fait mécaniquement monter l’opposant universel.

C’est le sujet central parce que c’est devenu le premier parti de France comme le revendique Marine Le Pen. C’est ce qu’indiquent les intentions de vote.

Je ne dis pas le contraire et on a au bout du compte la conséquence directe des incapacités ou des impuissances dans lesquelles la vie politique française s’enferme depuis des années. Est-ce que c’est une solution pour le pays ? Évidemment à mes yeux, non ! Aucune des solutions proposées, que ce soit des idées ou des obsessions par le Front National, ne peut permettre de résoudre les problèmes du pays.

Chaque personnalité politique qui vient dans cette émission le matin me dit « ce n’est pas la bonne méthode pour lutter contre le Front National : il ne faut pas stigmatiser ». Au fond, y a-t-il vraiment une solution ? On le saurait peut-être, non ?

Il y a une solution qui est de rendre l’action politique estimable et efficace. Elle ne peut pas être efficace et elle ne peut pas être estimable parce que l’on continue à vouloir les mêmes causes qui produiront les mêmes effets. Les mêmes causes : un pseudo coupure de la France en deux camps qui n’existent plus : la gauche soi-disant contre la droite prétendue, deuxièmement on a une gouvernance du pays qui est à mon sens faite de communication et pas de réalité et alors tant que l’on aura les causes, l’on aura les conséquences.

Sur cette lutte contre le Front National, est-ce que nous – en incluant les médias – n’avons pas tous tort ? Il y a un nouvel élément ce matin, c’est un sondage IFOP – Fiducial pour Paris Match, Sud Radio et i>Télé, c’est un sondage sur le regard des habitants des communes Front National. Que disent ces habitants ? Ils disent à 74 % selon l’IFOP, qu’ils sont contents. Est-ce que cela n’ébranle pas un peu vos convictions ?

Vous confondez beaucoup de plans. D’abord je ne sais pas comment le sondage est fait parce qu’un sondage sur quelques communes… Mais admettons que le sondage soit le reflet de la réalité. Pourquoi voulez-vous que les gens se déjugent au bout de 11 mois ?

74 % François Bayrou… Aucun n’a été élu avec ¾ des voix !

Bruce Toussaint, si vous voulez que nous fassions la publicité ensemble de cette proposition politique, moi je ne la ferai pas ! Il est normal que sur l’action locale, les gens ne se déjugent pas au bout de 11 mois !

C’est parce que vous êtes maire que je vous pose cette question.

Oui, je suis maire et je pense en effet que les choix que prononcent des citoyens, ils les déjugent pas au bout de 11 mois. Ce que nous mettons en cause, ce n’est pas l’action locale du Front National. Ce dont je parle avec vous, ça n’a rien à voir avec le fait que la police municipale ici, ou les subventions aux associations ailleurs soient touchées… Cela n’a rien à voir !

Il y a une distinction selon vous entre la politique locale menée par le Front National et la politique nationale.

Encore heureux, mais faisons-la ! N’essayons pas d’amalgamer tout ! L’inquiétude que le Front National suscite chez les plus objectifs en face porte uniquement sur le fait que les solutions que le Front National propose sont des solutions qui, si elles étaient appliquées, seraient mortelles pour le pays ! Cela n’a rien à voir avec telle commune, avec Hénin-Beaumont ou Béziers !

Au niveau national, Christiane Taubira dit – elle n’est pas la seule – que ce n’est ni un parti républicain ni démocratique. Ce n’est pas rien comme déclaration. Est-ce que vous êtes sur cette même ligne ?

Non. Je ne pense pas que ce que Manuel Valls a appelé – à mon avis maladroitement – la stigmatisation soit un bon moyen de convaincre les électeurs. Et même, plus vous chargez la barque du point de vue des accusations et plus, évidemment, les électeurs se retournent. C’est un parti dans le champ légal mais ses valeurs ne ressemblent pas aux valeurs de l’éducation civique, – on va dire les choses comme cela – vous voyez que c’est une distinction très importante. Et je n’ai employé ni le mot « républicain » ni le mot « démocratique » parce que c’est trop facile à renverser ; donc il me semble que les critiques de cette sorte apportent plus souvent de l’eau au moulin de ceux que l’on veut cibler que le contraire. Je trouve qu’il y a une maladresse, peut-être due au hasard ou au manque de sensibilité mais peut-être voulue aussi, parce qu’il y a peut-être ici ou là des arrière-pensées qui viseraient à trouver, en faisant monter le Front National, des situations que l’on n’a pas jusqu’à maintenant.

François Bayrou, on peut rappeler que vous avez été ministre de l’Éducation nationale, ces sujets de l’éducation vous intéressent au premier plan – vous les avez d’ailleurs évoqués en premier tout à l’heure – et vous avez aussi dit « réformettes ». Vous pensiez à ce qu’a dit hier Najat Vallaud-Belkacem sur le collège ?

Oui, on est très loin de ce que devrait imposer la situation de l’Éducation nationale. Alors, réforme du collège, ça fait partie des figures imposées – vous savez, en patinage, il y a les figures libres et les figures imposées, les exercices qu’il faut faire -. Franchement, nous sommes dans des figures imposées. Est-ce que cette « réforme » ou ces changements à la marge annoncés dans l’organisation du collège, est-ce que cela a la moindre chance de résoudre les problèmes de l’Éducation nationale en France ? Pour moi la réponse est, évidemment, non. C’est une réponse aveuglante.

Il faudrait revenir sur l’idée du collège unique, selon vous ? Parce que c’est cela au fond le sujet.

Le sujet principal est l’école primaire. Si vous allez au collège, avec des élèves qui ont 10 ans, 11 ans, ou 12 ans quelques fois à l’entrée en 6e, et qui n’ont aucun moyen de comprendre ce que l’on leur dit, d’exprimer ce qu’ils ont à l’intérieur d’eux, ou de découvrir par le texte, par la lecture que vous avez sous les yeux les idées, les faits, les réalités – ce qui est très important dans l’échange entre les êtres humains – vous aurez beau changer les horaires à la marge, vous aurez beau dire « On va apprendre la 2e langue à partir de la 5e », vous croyez qu’un élève qui ne maitrise rien de tout cela gagnera à commencer la 2e langue en 5e – de manière obligatoire si j’ai bien compris – et en monopolisant tous les moyens disponibles et supplémentaires ? Tout cela me paraît très loin de la réalité.

Je vais vous dire : hier, Mme Vallaud-Belkacem a cité deux exemples de révolution. On va faire un dossier sur la machine à vapeur, dit-elle, et d’un autre côté, on va faire calculer aux élèves combien de temps on gagne en allant par le train dans une ville éloignée plutôt que d’y aller à cheval. L’un ressemble aux problèmes du cours élémentaire d’autrefois à l’école primaire et l’autre, si vous croyez que le dossier sur la machine à vapeur va permettre à l’enfant de se donner les moyens de la compréhension et de l’expression, je crois, moi que c’est très loin de la réalité.

François Bayrou, pour terminer, j’aimerais vous interroger sur cette loi sur la fin de vie, qui a été débattue et votée à l’Assemblée cette nuit. Est-ce que cette nouvelle version vous va ? Sachant que c’est un sujet extrêmement sensible. Est-ce que ce que proposent désormais les députés et le gouvernement va dans le bon sens ?

C’est un sujet extrêmement sensible et intime. Je vais vous dire ce que je crois. Pour moi, imaginer que l’on doit faire une loi générale pour traiter de la multiplicité des problèmes, des drames et des angoisses que suscite la fin de vie, à mon sens ce n’est là encore pas adapté.

Donc, avant même de discuter de ce qu’il y a dans la loi, vous considérez…

J’ai voté – j’étais député à l’époque – la loi Leonetti, qui était la première loi sur la fin de vie que je trouvais bien inspirée. Elle a été votée, je vous rappelle, à l’unanimité, et pour faire voter à quelqu’un comme moi une loi sur la fin de vie, il faut avoir fait un travail sérieux. On est dans une situation où l’on a une multitude de cas différents, de souffrances différentes ; je trouve que les médecins, avec leur conscience, le débat et la concertation entre eux, la conscience médicale et la conscience de personne humaine à personne humaine, c’est la meilleure réponse que l’on puisse trouver. Alors qu’il y ait des marges de réponse, d’accord, mais que l’on veuille traiter d’une loi générale… Au fond, un grand nombre de ceux qui défendent cette loi veulent aller sur une euthanasie c’est-à-dire le fait de donner la mort. Notre civilisation est fondée sur le respect de la vie et donc il y a là un conflit philosophique – que je dirais intime, profond – que je ne sous-estime pas.

Merci François Bayrou, bonne journée à vous.

 

 

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