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François Bayrou sur le FN : « Un jour, les digues peuvent sauter »

Le JDD, 15 février 2015

François Bayrou estime que « la force du FN, ce sont les faiblesses des autres ». Il réclame l’instauration de la proportionnelle pour que les 50 % de Français qui se sentent exclus du jeu politique aient une juste représentation au Parlement.

La progression du FN est-elle irrésistible?

Je ne le crois pas du tout. La force du FN, ce sont les faiblesses des autres. La progression du FN cessera le jour où l’on fera disparaître les deux causes de cette progression : la stérilité du jeu politique classique et l’incohérence de nos institutions. Le PS et l’UMP, qui ont tout le pouvoir depuis quinze ans, sont en fin de cycle. Ces deux partis ne savent plus gouverner efficacement. Pourtant, une loi électorale injuste leur donne 95% des sièges. Ceux qui refusent de se soumettre à leur domination sont exclus : au moins 50 % des Français. L’extrême droite, l’extrême gauche et le centre n’ont presque aucune représentation! Ce monopole empêche tout renouvellement des pratiques et des idées. Mais on devrait faire attention : le scrutin majoritaire accentue les vagues! Un jour, les digues peuvent sauter.

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Mais la proportionnelle, cela signifierait aujourd’hui 120 ou 150 députés FN…

Et alors? Pour moi, les électeurs du Front national ont les mêmes droits que les autres! Pourquoi ne seraient-ils pas représentés? Je suis en profond désaccord avec leurs choix, mais je ne suis pas d’accord pour qu’on les exclue. En les excluant, on les sert! Etre maintenus en dehors de tout, c’est le secret de leur succès! C’est lorsque les extrêmes seront dans les assemblées qu’on découvrira leurs incohérences et leurs faiblesses. Voyez le mouvement de Beppe Grillo en Italie : il est arrivé en tête aux législatives, et puis il s’est décomposé, simplement parce qu’on a découvert à l’Assemblée italienne sa vraie nature. Enfin, même s’ils obtenaient 25% des sièges, cela ne fait toujours pas une majorité. Les autres sensibilités devraient alors prendre leurs responsabilités et agir ensemble si elles croient à quelque chose!

Ce ne serait pas l’organisation de l’instabilité?

Vous trouvez que l’Allemagne est instable? ou les pays scandinaves? Tous les pays européens continentaux, sans exception, ont la même règle de juste représentation. Et je les trouve plus stables et plus capables de réformes que nous ne le sommes. Et nous, en plus, nous avons l’élection présidentielle qui fixe le cap.

Marine Le Pen peut-elle gagner en 2017?

Il y a une phrase de Bossuet que j’aime beaucoup : « Le ciel se rit des prières qu’on lui fait pour détourner de soi des maux dont on persiste à vouloir les causes. » Autrement dit : cela ne sert à rien de pleurer en disant « mon Dieu, les extrêmes progressent! » si on fait tout pour que la progression des extrêmes continue. Depuis des années, je vois s’accumuler derrière le barrage de nos institutions une insatisfaction de plus en plus considérable, une frustration violente, dont le vote Front national est aujourd’hui la traduction. C’est le résultat d’une incapacité à aborder simplement, de manière pratique et lucide, les questions qui se posent à nous : la question de la dette que j’avais posée dès 2002, la question centrale de l’éducation, le labyrinthe de notre droit du travail, l’incroyable embrouillamini qu’on nous prépare avec la réforme brouillonne et avortée des collectivités locales… Peut-on sortir de cette impuissance? Pour moi, la réponse est claire : oui, on peut sortir de cet enlisement par des décisions rapides, simples et compréhensibles.

Quelles décisions?

J’en vois cinq : une reconstruction de l’école autour des fondamentaux (lecture, langue française et concentration, à commencer par le silence dans la classe) ; la formation professionnelle tournée vers les chômeurs et les métiers déficitaires ; l’expérimentation d’un contrat de travail unique ; une vraie simplification des collectivités ­locales ; un élagage des innombrables normes, codes, contrôles qui paralysent l’activité. Mais cela suppose une condition : des gouvernants courageux, lucides et qui sachent parler au peuple des citoyens.

Alain Juppé a été sifflé le 7 février lors du conseil national de l’UMP quand il a évoqué une possible alliance avec le MoDem…

Le sectarisme, c’est le plus haut degré de la bêtise. Ce n’est pas grave. Le jour viendra où ceux qui sifflent seront bien obligés de réfléchir.

Continuez-vous de dire : « Sarkozy, jamais »?

Ma confrontation avec Sarkozy, elle a toujours été sur le fond. J’ai refusé son choix d’opposer les Français entre eux, d’attiser les affrontements parce qu’il les pensait électoralement payants. Ces affrontements sont mortels pour le pays. Je crois de toutes mes fibres que la politique des sifflets et des phrases assassines, les Français en ont soupé. Je crois de toutes mes fibres qu’il existe une approche politique qui permettra de ressaisir l’énergie du pays, de lui proposer une volonté.

Mais peut-on imaginer un jour, sous certaines conditions et si la situation évolue, une réconciliation Sarkozy-Bayrou?

(Il rit.) Vous connaissez la chanson : avec des si, on mettrait Paris en bouteille!

Pourquoi ne souhaitez-vous pas participer aux primaires de la droite et du centre?

Pour deux raisons : d’abord les primaires coupent le pays en deux camps rivaux. Ce n’est pas mon idée de la France. Et en organisant une élection partisane, elles donnent un poids exagéré aux plus « durs » de chaque camp.

À vous entendre, Alain Juppé a donc tort d’être candidat aux primaires?

Alain Juppé fait un pari : il est convaincu qu’il surmontera les obstacles de cette compétition si 3 ou 4 millions d’électeurs viennent voter. J’espère qu’il a raison, et s’il a raison, tant mieux! En tout état de cause, si c’est lui qui est choisi à l’issue de ces primaires, je n’aurai aucune difficulté à trouver un accord avec lui.

Et si ce n’est pas lui?

Alors on verra. Notre force, c’est notre liberté.

Comment décririez-vous le Juppé de février 2015?

Il traverse un moment heureux de sa vie politique. Je le trouve plus épanoui, confiant dans son étoile. Et surtout, ses jugements vont dans le sens de ce que je crois bon pour le pays. Personnellement et politiquement, il me semble bien inspiré.

Que pensez-vous aujourd’hui de François Hollande?

Au lendemain des événements de janvier, il a manqué une occasion unique de trouver la vraie dimension, historique et pas seulement politique, de son mandat. Dans l’union du pays, c’était le moment de l’audace. Or sa conférence de presse a dit deux choses. L’une, intéressante, c’est sa volonté de contribuer au retour de la paix en Ukraine. La deuxième est plus navrante : entre les lignes, en fait, il annonce avoir renoncé aux grands changements dont le pays a besoin. La réforme économique s’arrête avec la loi Macron, une montagne qui accouche d’une poignée de souris. Aucune des grandes questions du pays n’est traitée : ni l’éducation, ni le droit social, ni le contrat de travail, ni la formation professionnelle… Et la réforme politique à laquelle il s’était engagé est abandonnée. Dans le confort de meilleurs sondages, ce renoncement est une grave erreur.

 

 

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