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« Il n’y a qu’une majorité réformiste possible, c’est une majorité centrale »

Mouvement Démocrate, 8 avril 2015

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Aux côtés de Nicolas Poincaré et des grandes voix d’Europe 1, François Bayrou a débattu de l’actualité du jour, après avoir tenu à dire quelques mots en hommage au sénateur d’Indre-et-Loire, Jean Germain.

Bonsoir François Bayrou.

Bonsoir.

Le suicide d’un politique, l’ancien maire de Tours Jean Germain, les nouvelles provocations de Jean-Marie Le Pen, les leçons à tirer des départementales gagnées par une union de la droite et du centre, l’organisation des primaires, Nicolas Sarkozy qui semble-t-il parle beaucoup de vous, les sujets de manquent pas et pour interroger je vous présente les 3 grandes voix du soir : Michèle Cotta, Gérard Carreyrou et Serge July. François Bayrou, comme nous, vous avez entendu ce matin que l’ancien maire de Tours ne s’est pas présenté à son procès, il a laissé une lettre d’adieu et il s’est suicidé dans son garage. Son avocat dit que son honneur a été jeté aux chiens, c’est la phrase qui avait été employée par François Mitterrand pour parler du suicide de Pierre Bérégovoy.

Chaque fois que l’on est devant une tragédie de cet ordre, naturellement on pense en premier au drame d’un homme et c’est évident que l’exposition à un procès est extrêmement lourde à porter surtout si l’on est dans un moment un peu plus difficile. Je ne connais pas le dossier mais on ne peut pas ne pas penser que c’est une affaire de branquignole.

Une organisation de mariages fictifs couplée à un mariage touristique dans les pays de la Loire.

C’était des mariages et c’était des photos si j’ai bien compris. Donc une affaire de branquignoles même s’il peut y avoir des intérêts que je ne soupçonne pas, financiers dans toutes ces choses. Je n’en tire qu’une leçon : chaque fois que quelqu’un est exposé à ce genre d’accusations, il faut aussi penser qu’il peut être très fragile. L’être humain est très fragile, même un homme qui a exercé des responsabilités et encore plus un homme qui a exercé des responsabilités quand il perd ces responsabilités. Il y a beaucoup de fragilités dans l’écorce humaine et donc il ne faut jamais l’oublier, pour autant lorsqu’il y a des infractions, elles doivent être poursuivies. Simplement il faut avoir le tact, un peu de respect aussi. Il arrive qu’il y ait des gens qui fassent des bêtises et qui ne soient pas des malhonnêtes gens.

Simplement c’est une remarque, il n’est pas poursuivi par les médias, il était poursuivi en l’occurrence par la justice.

Je n’ai pas parlé de cela.

Ce n’est pas pour vous. Je dis cela parce que l’expression « les chiens » a été utilisée 2 fois par Mitterrand, une fois pour se défendre – c’était dans son discours au Sénat – et la 2e fois à propos de Bérégovoy. C’est une habitude donc c’est simplement pour relever qu’il était poursuivi, ancien élu, par la justice. Monsieur Bayrou, il se trouve que j’ai vécu de près, j’étais très proche de Pierre Bérégovoy, et là en écoutant depuis midi tous les témoignages, j’entends des choses et j’ai entendu des gens – comme par exemple tout à l’heure dans le journal – qui disaient qu’il rasait les murs à Tours depuis. C’est-à-dire que cet homme qui n’était pas un homme expansif, qui n’avait jamais vraiment voulu s’expliquer, avait l’impression quelque part d’être traqué. C’est comme cela que cela se passait pour Pierre Bérégovoy, qui quelques jours avant son suicide, avait dit « Pourquoi est-ce que l’on m’en veut autant que cela ? » Est-ce que, vous, vous faites ce parallèle ? Parce que ce suicide de Pierre Bérégovoy avait beaucoup frappé les Français, celui-là, cet homme est moins connu, mais est-ce que vous pensez que c’est de même nature ?

Autant que j’ai pu en juger de l’extérieur puisque j’étais dans l’opposition et c’est le moment où je suis entré au gouvernement et donc j’ai vécu tout cela avec le choc que cela représentait, Pierre Bérégovoy portait sur lui la culpabilité de l’échec de la majorité socialiste l’époque qui avait été battue comme jamais et il n’arrivait à se libérer de cette responsabilité, il avait l’impression – à tort, bien entendu – que c’était en raison de son imprudence sur ces histoires de prêts que son camp avait été liquidé. Donc cela lui faisait porter une responsabilité très importante. En plus y avait-il des fragilités personnelles dans ce moment de son histoire, on ne le sait pas vraiment mais c’est possible parce que cela n’est pas rien que de perdre pour Monsieur Germain la mairie de Tours, ce n’est pas rien pour Pierre Bérégovoy devenu Premier Ministre de la France après avoir été Ministre de l’Economie et venant du milieu social d’où il venait, ce n’est pas rien que de perdre cela.

Donc une défaite électorale peut être très dure ? C’est cela que vous nous dites ?

Oui, il y a des gens qui ne se remettent pas d’une défaire électorale. Il y a des tempéraments qui ont plus le goût de vivre ou la joie de vivre ou une espèce de joie intérieure que d’autres. Il y a des gens plus exposés que d’autres, il y a des gens plus fragiles que d’autres, et alors ce n’est pas un secret que je vais énoncer devant vous mais la vie politique c’est vraiment une épreuve quand on n’a pas le cuir épais, la colonne vertébrale stable. C’est vraiment dur parce que l’on dit de vous et contre vous des abominations. Simplement il faut savoir que les gens ne croient pas forcément les abominations que l’on dit de vous. Tout cela est à relativiser mais c’est très facile de dire que c’est à relativiser quand on a soi-même l’énergie intérieure, l’élan vital – comme aurait dit votre ami Bergson – qui permet de porter les choses.

Les malhonnêtes ne se suicident jamais. Il y a quand même en politique un certain nombre de cas d’homme politiques qui sont depuis un certain nombre d’années devant les tribunaux et qui vont l’être encore et on n’a pas l’impression qu’ils vont se suicider. Je n’invite pas mais je constate.

Ce sont souvent les gens qui n’ont jamais traversé le risque judiciaire, les enquêtes pour qui c’est terrible à vivre. C’est comme ça. Donc bien sur les gens qui ne s’y attendaient pas sont plus fragiles que d’autres, je suis persuadé que dans ce que l’on nous a exposé de cette affaire – je ne sais pas ce qu’il y a en vérité – franchement j’ai dit que c’était une affaire de branquignole.

Je ne sais pas si vous avez lu l’hebdomadaire Rivarol, François Bayrou, mais Jean-Marie Le Pen y tient des propos pas piqués des vers notamment sur Manuel Valls à qui il reproche de ne pas être français depuis très longtemps et de ne pas être attaché à la France, sur le maréchal Pétain qu’il n’a jamais considéré comme un traitre, sur la nécessité de s’allier avec la Russie pour sauver le monde blanc. À votre avis à quoi joue Jean-Marie Le Pen ?

C’est très simple, Jean-Marie Le Pen a fait depuis longtemps de la transgression de ce qui est admis dans le débat, de ce que l’on peut dire dans un débat et de ce que l’on ne peut pas dire. Il y a beaucoup de choses que l’on ne peut pas dire et heureusement. Jean-Marie Le Pen a fait de la transgression, de traverser cette frontière à la fois une marque d’identité et un moteur pour sa communication. D’ailleurs je crois qu’il l’a expliqué de manière assez transparente et bien c’est cela qu’il est en train de refaire probablement parce qu’il est menacé de ne pas avoir la tête de liste dans la région qui l’intéresse ensuite parce qu’il est probablement agacé que ce parti qu’il a fait soit un peu détaché de lui et donc il se sert de cette arme qui est une arme bien connue en politique pour en faire un moteur.

C’est la technique du maitre-chanteur.

Pourquoi du maitre-chanteur ?

Parce qu’il veut la tête de liste en PACA.

Probablement. Je ne sais pas exactement à quoi vous faites allusion mais je ne crois pas qu’il s’agisse de chantage uniquement. Je pense qu’il doit trouver que le Front national s’affadit et pour lui – il l’a expliqué beaucoup, je ne suis pas exégète de la pensée de Le Pen – un Front national qui s’affadit c’est un Front national qui perd son originalité donc il perd son identité donc qui est devant un accident. En plus, comme cela le sert lui, comme garant de l’autre nature du Front national, il a choisi la transgression comme arme et comme lanceur, comme rampe de lancement.

À votre avis ça fait des mois que l’on dit les uns et les autres, tout cela, n’importe quoi, profite à Marine Le Pen, les erreurs politiques, ça profite à Marine Le Pen. Bon, est-ce que ça lui profite, c’est-à-dire est-ce que d’une certaine façon ça la sort de la diabolisation de son père ou est-ce que ça ne finit pas quand même par gréver le FN lourdement?

Je mets de côté les relations père-fille qui sont un autre sujet et sur lesquels j’ai encore moins de compétence que sur les autres mais qui peut-être existe dans cet ensemble. C’est le premier point.

Mais deuxième point, est-ce que ça distingue Marine Le Pen ? Probablement oui. Est-ce que ça la rend plus attrayante, je n’en suis pas sûr. Mais ce n’est pas ça qui profite à Marine Le Pen. Ce ne sont pas les dérapages qui profitent à Marine Le Pen, ce qui profite à Marine Le Pen, c’est deux choses. Premièrement par des institutions absurdes, on l’a rendue opposante universelle, à tout: à la gauche, à la droite, au fait qu’elle soit exclue de partout, c’est à la fois un désagrément – mais comme elle est députée européenne, ça va – c’est à la fois un désagrément, mais c’est un formidable atout parce que, dans un monde où le rejet est à peu près universel, quand vous êtes le porteur du rejet universel, ça vous profite et comme, de surcroit, les responsables politiques en font la vedette exclusive du débat politique, puisqu’on n’a parlé que d’elle – et les médias aussi par voie de conséquence, dans la période précédente -, c’est cela qui a fait le score absolument impressionnant, il faut dire la vérité si on veut être sincère, absolument impressionnant du FN, parce que c’est la première fois qu’un tel score est acquis sans que les candidatures sur le bulletin de vote aient la moindre importance.

Dans le canton où je vis, le FN a présenté une dame de 92 ans – on m’a dit qu’elle avait 92 ans et ce n’était pas écrit – et son neveu de 21 ans, que personne évidemment n’avait jamais rencontrée et ne rencontrera jamais. Et elle a fait, dans mon canton de naissance, 17%. Ce qui est un score absolument sans précédent dans le sud-ouest de la France. C’est donc une implantation électorale fantastique sans candidats! Les candidats étaient d’une certaine manière des vitrines ou des prête-noms, au sens propre du terme et pas au sens figuré du terme, des noms prêtés pour défendre le bulletin de vote sur lequel était écrit FN.

Et ça fait un score énorme mais il ne faut pas s’en étonner parce qu’il répond à des causes que nous avons voulues, que nous continuons à vouloir tous les jours. C’est-à-dire l’exclusion de 25% des électeurs, l’exclusion totale de la représentation. Pourquoi? on ne sait pas. Mais ce n’est pas la première fois. En 2007, j’ai fait 19% des voix, nous avons eu deux députés, et Marine Le Pen a fait le même score à quelques dixièmes près, elle a eu deux députés aussi.

C’est-à-dire qu’il y a un très grand nombre de Français, je fais l’addition avec vous, 25% de FN et des voix d’extrême gauche qui sont pas négligeables et des voix du centre indépendant quand il se compte, qui sont aussi de l’ordre de 10 ou 12%. Ca fait entre 40 et 50% des Français à qui des institutions absurdes interdisent de participer à la représentation. Et pour quel résultat? Le résultat est extrêmement simple: on est dans l’impuissance politique totale. C’est-à-dire que le PS au pouvoir ne peut pas gouverner, et si l’UMP était à sa place, ce serait exactement pareil – et il l’a été d’ailleurs -. Et on a donc été dans le blocage total et le monde politique, dans ses responsables monopolistiques, comme le disait Georges Marchais autrefois, dans ces deux partis du monopole du pouvoir, refuse de changer quoi que ce soit au contraire des promesses que François Hollande par exemple a faites explicitement.

Vous avez expliqué que le mode de scrutin majoritaire à deux tours, qui est pratiqué en France, donc à l’exclusion du mode de scrutin proportionnel, était la raison principale de la montée, de la cristallisation du FN. Il y a un phénomène FN, ou disons populiste, dans tous les pays d’Europe, il y a des modes de scrutin très différents. Donc on peut penser que ce n’est pas la raison unique le mode de scrutin.

Non, ce n’est pas la raison unique, mais une extrême droite entre 25 et 30%, de tête, il y en a eu une en Autriche mais ça n’est pas la règle universelle des pays d’Europe. Loin de là.

Il y a une extrême droite qui existe dans de nombreux pays d’Europe, les Flamands, les Néerlandais…

Je ne mélange pas tout. D’ailleurs ils ont refusé de faire groupe avec Marine Le Pen. C’est quand même révélateur d’une certaine manière. Ils ont aussi des frontières.

Il y a partout une espèce de profond trouble en face de la mondialisation et de ce qu’elle suppose, bien entendu. Bien entendu, il y a partout un trouble profond devant le fait que la politique ne puisse pas décider de tout. Les responsables politiques qui venaient et annonçaient que désormais le monde allait changer, qu’on allait passer de la nuit à la lumière – je cite des phrases qui ont été, par exemple, les phrases de l’alternance de 1980 en France – tout cela n’est évidemment pas de saison parce que tout le monde a bien compris, sauf à avoir une vision du monde – à mon sens – dangereuse, que les pays, les sociétés européennes, occidentales et même mondiales, sont étroitement dépendantes les unes des autres, et que les démagogues qui viendraient vous diraient : « Mais non, on n’est pas dépendants des autres, on peut faire ce qu’on veut chez nous parce que – vieille phrase des années 1930 – Charbonnier est maître chez soi ». Eh bien ceux-là évidemment trouvent un aliment dans cette inquiétude des peuples à voir qu’on ne peut pas faire n’importe quoi. Et si on ne peut pas faire n’importe quoi, alors il y a des contraintes, et alors il est difficile de rêver à des lendemains qui vont chanter. Et tout cela est évidemment le plus profond du trouble qui existe dans un grand nombre d’esprits de citoyens. Ce n’est pas une raison pour les chasser. A Athènes autrefois, lorsqu’on chassait des citoyens, on le faisait en mettant un coquillage dans une urne. On appelait cela ostraciser, c’est le même mot que « huître ». Il n’y a aucune raison à cet ostracisme. Au contraire, on vient de le voir en Italie : Beppe Grillo est arrivé en tête avec 28%, il a eu le nombre de députés qu’il devait avoir. Eh bien il se trouve qu’au bout de 6 mois, il n’y a plus, ou presque plus, ou peu, d’électorat de Grillo parce qu’on les a vus à l’oeuvre. On a compris que ce n’était pas vrai cette histoire. On les a vus se disputer, se fracasser sur la réalité. Et tout d’un coup, l’extrêmisme, au lieu d’être central, est devenu marginal. Eh bien si l’on ne fait pas tout cela, on aura, à mon avis, de très graves ennuis.

François Bayrou, les citoyens vont pouvoir se prononcer pour le choix de leur candidat. On avait eu la primaire des socialistes en 2012, cette fois-ci on va avoir une primaire qui va y ressembler, d’ailleurs, à la droite et au centre. Ce système de primaires décidé après pas mal de débats par Nicolas Sarkozy, mis en place par Thierry Solère… Ma question précise: est-ce que vous, d’abord qu’est-ce que vous pensez ? Et est-ce que vous allez participer à cette primaire ouverte à la droite et au centre qui pourrait attirer deux, trois voire quatre millions de citoyens ?

Je pense que ça attirera beaucoup de votants. Et cependant je crois que ce système n’est pas sans danger, sans risque. Pourquoi?…

Est-ce que vous serez candidat ?

Attendez, on a le temps ! Vous dites que c’est une émission où on a le temps de s’exprimer, et donc on va juste faire le raisonnement.

Le problème c’est que quand vous êtes sur un corps électoral étroit, et 4 millions sur 45 millions, c’est un corps électoral étroit, même 4 millions! Quand vous êtes sur un corps électoral étroit, les noyaux durs de chaque camp pèsent plus lourd. C’est facile à comprendre parce que les noyaux durs se mobilisent beaucoup plus que ceux dont l’opinion est plus nuancée.

Les militants ?

Pas seulement les militants. Les plus durs, ceux qui pensent que c’est la guerre avec l’autre camp. Ceux-là se mobilisent plus. Évidemment, ça donne un avantage qui est un avantage non négligeable – et je choisis des mots prudents – pour ceux qui les mobilisent plus facilement. Donc je suis très réservé à l’égard de ces primaires-là. Alain Juppé a choisi d’y participer, on a eu de longues discussions autour de ce sujet, où j’essayais de faire valoir cet argument-là. Il a choisi d’y participer.

Vous lui avez conseillé de ne pas y participer ?

Si vous voulez bien, je ne vais pas faire l’exposé des conversations que nous avons eues. Mais ces réserves que j’indique, je les lui ai indiquées. Sans compter que ce n’est pas vraiment la Vème République tout cela. Parce qu’il y a une vraie primaire, c’est celle du premier tour. C’est comme cela que la France a résolu depuis longtemps le problèmes des primaires. Là, on invente une élection présidentielle à trois tours. Et peut-être quatre puisqu’il est possible qu’il y ait deux tours à la primaire elle-même. Pour moi en tout cas, j’exprime des interrogations, j’ai des doutes à l’égard de ce mécanisme-là, raison pour laquelle je ne me lierai pas les mains dans cette affaire, sauf tremblement de terre que je n’imagine pas aujourd’hui.

Ne pas se lier les mains ça veut dire ne soutenir aucun candidat et ne pas être candidat même pour être clair?

À tous les Français qui me demandent ce que j’en pense, je dirai ce que je pense . Aujourd’hui, à l’heure actuelle, Alain Juppé me paraît être celui qui a l’équation, enfin qui correspond le mieux à ce que je crois que le France attend d’un chef d’État dans la période très difficile et critique où nous sommes. Et donc à tous ceux-là, je dirai – j’ai beaucoup d’amis qui me disent : « Mais nous François, on va y aller »…

Donc ce sera un ticket Juppé – Bayrou ou Bayrou – Juppé comme vous voulez ?

La Vème République interdit les tickets. Et comme vous avez Monsieur Carérou une culture politique très formée, très construite, je vous rappelerrai que la seule fois où il y en a eu ça a très mal fini. Ca a été Deferre et Mendès France. Ca a fini à 5% et, par miracle, ils ont été remboursés! Et puis, par nature, je n’aime pas les tickets.

Lorsque vous lisez dans le JDD que Sarkozy considère que Juppé doit se méfier de votre soutien en disant « tous ceux qui ont approché François Bayrou sont morts »

Il dit même pire si ceux qui l’ont entendu disent ça, parce que je crois que les journalistes n’ont pas osé dire l’intégralité…

Qu’a-t-il dit exactement ?

Non, vous aurez l’occasion de le découvrir!

Une des raisons pour lesquelles de nombreux millions de Français qui n’étaient pas de gauche ont choisi l’alternance, c’est-à-dire de ne pas réélire Nicolas Sarkozy, c’est une perpétuelle agressivité. Une des raisons. Une perpétuelle volonté de cibler les gens, de les traiter de ces noms-là et de quelques autres, de les désigner à la vindicte publique avec le doigt brandi comme cela. C’est une des raisons les plus importantes. Parce que tous les Français à mon avis, en tout cas ceux que je représente, ils veulent un Président de la République qui ait le sens de l’équilibre, la capacité de rassembler, la capacité d’entendre y compris ceux qui ne sont pas d’accord avec lui, et d’intégrer à sa pensée ce type de réflexion.

Je vais vous raconter une histoire. J’ai publié en 2009 – si ma mémoire est fidèle -, un livre qui était, je crois, un livre assez fort, un livre qui s’intitutlait abus de Pouvoir, sur la manière dont Nicolas Sarkozy exerçait le pouvoir, sur les affaires qui se multipliaient et sur le fait que l’idéologie qu’il défendait, à mon avis n’était pas une idéologie qui correspondait, ni à ce qu’il avait dit, ni à l’attente profonde que le pays avait. Et un des responsables les plus importants de l’UMP – je vous dirai hors antenne qui c’est – qui a occupé des fonctions ministérielles très importantes, qui est un des cadres de l’UMP m’a appelé un jour, on se connaît bien, et m’a dit « Tu sais, j’ai acheté ton livre, j’ai cru que c’était un pamphlet, la publicité qui en avait été faite disait que c’était un pamphlet. Et j’ai écrit un mot à Nicolas Sarkozy en lui disant « Tu devrais lire ce livre, il ne te fera pas plaisir, mais ce qui est écrit -là, beaucoup de Français, et notamment de Français de la grande famille du Centre, le ressentent. » Je crois qu’il ne lui a pas répondu du tout, je crois qu’il n’était pas du tout sensible à ce type d’argumentaire.

Un Président de la République, selon moi, c’est quelqu’un qui doit être capable d’entendre, y compris ceux qui ne sont pas d’accord avec lui, et non pas de perpétuellement mener contre eux une espèce de réquisitoire insultant comme si c’était cela le débat public. Eh bien, je maintiens ce jugement.

Donc si c’était à refaire, vous maintiendriez votre vote si c’était Hollande face à Sarkozy.

Monsieur Carreyrou, on se connaît depuis longtemps. Est-ce que vous croyez qu’on puisse prendre une décision aussi importante sans y avoir réfléchi beaucoup? Et se dire qu’il y a des moments où il faut, contre son propre intérêt – parce que vous m’accorderez que je n’ai jamais ignoré que c’était contre mon intérêt, mais je pensais que le pays était engagé sur une pente qui était mauvaise – faire quelque chose qui empêche cette dérive de se poursuivre. Il y avait un deuxième argument : je pensais que l’idéologie socialiste ne résisterait pas à la réalité. Et j’imaginais – sur ce point je me suis trompé – que François Hollande en tirerait les conclusions très vite parce qu’il venait d’une famille politique qui est assez proche de la mienne, Jacques Delors et tout son entourage. J’espérais qu’il en tirerait les conclusions très rapidement et que par conséquent il changerait le paysage politique français. C’est sur ce point que je me suis trompé parce qu’au lieu de prendre la responsabilité historique que le moment et le pays attendaient de lui, il a fait de la politique interne au PS et cela pour moi, c’est une faute lourde.

Vous nous disiez tout à l’heure « je ne me lierai pas les mains dans la primaire de l’UMP », cela veut dire que vous ne serez pas candidat si j’ai bien compris ?

Exactement.

Cela veut dire que vous soutiendrez Alain Juppé ?

Exactement.

Mais si Alain Juppé perd, est-ce que vous pouvez vous présenter à l’élection présidentielle ?

Si la situation politique offerte aux Français n’est pas celle qui me paraît bonne, je serai libre ! J’ai mis beaucoup de temps, consenti beaucoup d’effort, fait beaucoup de sacrifices pour arriver à une situation simple : être libre de ses actes, être responsable de soi-même, de sa famille politique et de son courant, et ne pas être dépendant d’autrui ! Je trouve que la vie politique française manque de liberté.

Vous dites que François Hollande n’a pas changé assez vite. Au bout de trois ans, est-ce que vous pouvez dire c’est trop tard ?

Est-ce qu’il y a eu changement de cap ? Il y a eu inflexion dans les mots et un certain nombre de micro-mesures qui sont pour certaines d’entre elles probablement utiles, mais qui ne sont pas les inflexions profondes et surtout il n’en a tiré aucune conclusion sur le plan institutionnel. or, vous ne pouvez pas avoir une politique réformiste en maintenant des institutions qui interdisent d’avoir une majorité réformiste ! Parce qu’instantanément vous vous retrouvez en but à une opposition de 70 à 75% des Français puisque vous avez contre vous tout l’autre camp et la moitié du vôtre. Donc ceci interdit qu’il y ait une politique clairvoyante avec une vision et du courage en France. Car il n’y a qu’une majorité réformiste possible, c’est une majorité centrale, qui aille assez loin d’un côté et assez loin de l’autre avec un centre fort, qui puisse permettre de soutenir une politique cohérente comme celle-là.

Deux Français sur trois comme le disait Valéry Giscard d’Estaing ?

C’est exactement ce principe, à la différence que le Front National n’existait pas encore et que le Parti Communiste était très fort.

Et donc ce qui n’est pas arrivé dans les trois dernières années, à votre avis, n’arrivera pas dans les deux ans qui viennent ?

Tous les signes que j’aperçois indiquent que François Hollande a renoncé à tenir les engagements que pourtant il a pris devant les Français, même mineurs ! Par exemple celui de trouver une loi électorale juste qui puisse permettre d’avoir une majorité que les Français attendent. Je vais même un peu plus loin : cette règle électorale adoptée par tous les pays européens continentaux sans exception, c’est la seule qui garantisse que la dérive extrémiste ne peut pas l’emporter et c’est pour cela – j’en ai beaucoup parlé avec Helmut Kohl, j’étais très jeune et lui un peu plus confirmé – que les Allemands ayant vécu le drame historique millénaire du nazisme ont adopté cette règle électorale qui fait qu’ils ne peuvent plus revivre les tragédies antérieures.

François Bayrou, un mot sur ces affiches publicitaires interdites dans le métro parisien parce qu’il y avait écrit « chrétiens d’Orient » dessus ?

On se demande si ces gens ne marchent pas sur la tête ! En tout cas je sais une chose : ils ne comprennent rien à la laïcité. C’est d’abord terriblement offensant contre des communauté martyrs. je veux rappeler que les Chrétiens d’orient jamais n’ont fait la guerre ! Jamais n’ont fait naître des terroristes en leur sein ! Ces communautés sont martyrisées, tuées, chassées de chez eux et la RATP ne veut pas écrire leur nom sur une affiche mais ces types sont dingues ! Ils ne comprennent rien à ce que la laïcité est ! La laïcité, on ne la trouve pas dans l’assiette des enfants à la cantine et on ne la trouve pas en excluant le nom des religions sur les affiches de la RATP. Ce sont des gens qui sont pris dans une espèce de dérive déséquilibrée dans laquelle ils sont entraînés à un laïcisme hystérique. Et la laïcité c’est l’anti-hystérie, de tous les côtés. La laïcité c’est la volonté de faire vivre les gens ensemble sans les laisser diviser par leurs convictions religieuses. On les fait vivre ensemble sous une loi civile qui est distincte de l’autorité religieuse. La laïcité, ce n’est pas que l’on n’a pas le droit de prononcer le nom d’une religion, c’est exactement le contraire !

 

 

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