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 » L’union sacrée est nécessaire »

Le président du MoDem François Bayrou a jugé mercredi « attristant » la débat houleux lors des questions à l’Assemblée la veille et a loué « la ligne de responsabilité » d’Alain Juppé.image

En raison de l’actualité, cette émission a été enregistrée un peu avant midi – 10h40 précisément – alors qu’une opération de police est en cours à Saint-Denis contre une cellule terroriste. Nous sommes ce matin avec François Bayrou, président du MoDem, également maire de Pau, qui va d’ailleurs aller à la rencontre du Président de la République qui doit s’adresser aux maires de France tout à l’heure. François Bayrou, bonjour.

Bonjour.

L’opération qui a eu lieu cette nuit, très tôt ce matin, vers 4h du matin, est rendue possible grâce à l’état d’urgence qui a été adopté par le Président de la République. Est-ce que vous pensez que cet état d’urgence doit être perpétué comme cela – même si légalement ce n’est pas possible – pendant longtemps ?

Je crois qu’il y aura un dépôt de projet de loi et un vote pour que soit prolongé le temps nécessaire, 3 mois environ.

Ce n’est pas en 3 mois que l’on va venir à bout du terrorisme.

En tout cas, ces instruments juridiques sont nécessaires pour pouvoir intervenir et, de ce point de vue là, je ne vois que des avantages à ce que nous soutenions la proposition que le gouvernement fera.

Et la proposition du Président de la République notamment, c’est d’instituer un état de crise qui remplacerait donc l’état de siège. Est-ce que vous avez compris précisément ce qu’il voulait faire avec cet instrument qu’il voulait inscrire dans la Constitution ?

Alors personne ne voit exactement quel sera le contenu. Mais on sait depuis longtemps que les forces de sécurité et la justice demandent d’avoir des instruments adaptés à la situation. Je prends un exemple d’adaptation : la surveillance numérique – qui est si importante dans la préparation de ces horreurs, de ces attentats – et la possibilité d’intervenir contre des réseaux cryptés – vous savez que nul ne peut lire en dehors de ceux qui sont émetteurs ou récepteurs -. Tout cela demande des instruments juridiques et pour moi, il n’y a aucune raison qu’on les refuse ou qu’on les discute au gouvernement. Après, on sait évidemment que tout cela est un équilibre à trouver entre liberté et sécurité. Je dois ajouter une autre chose : c’est que l’état de siège n’est plus adapté à la situation que nous vivons et donc que l’on essaie de définir un état d’urgence qui soit adapté aux crises que sont les nôtres, pourquoi pas.

En l’inscrivant dans la Constitution.

Oui, c’est une manière de la solenniser, et peut-être de réfléchir à l’articulation entre l’article 16 – les pleins pouvoirs que le général De Gaulle avait voulus – et l’état de siège. Vous voyez bien que cela n’est pas adapté à la situation et, de ce point de vue là, François Hollande a eu raison de le dire. Après, ce n’est pas la peine de chercher à trouver des avantages dans un sens ou dans un autre.

Et est-ce qu’il n’a pas voulu faire diversion, le Président de la République, en voulant réformer la Constitution justement pour adopter ces nouveaux outils juridiques ?

Cela fait très longtemps que les forces de sécurité et la justice demandent qu’il y ait une adaptation. Alors est-ce que cette adaptation doit passer par une réforme de la Constitution ? On verra, mais, pour l’instant, l’état d’urgence – on le voit bien – nous permet encore cette nuit de faire des opérations qui, autrement, n’étaient pas accessibles.

D’accord. Alors ce que vous avez dit sur, justement, la traque, le décryptage et les communications entre terroristes, montre qu’il y a quand même des failles : les dossiers des terroristes qui ont frappé vendredi montrent qu’ils circulent, qu’ils sont connus des services de police mais néanmoins ils vont en Syrie, ils reviennent, ils se déplacent un peu comme ils veulent, il y a eu des ratés dans les enquêtes. Est-ce qu’il ne faut pas revoir tout de fond en comble ?

Tout de fond en comble, je ne sais pas. Nous parlons au moment où une opération est en cours, il y a tout de même une chose qu’il faut dire c’est que l’on a des forces de sécurité impressionnantes, formidables, que ce qu’ils ont fait dans la nuit de vendredi à samedi au Bataclan, ce qu’ils font ce matin à Saint-Denis, est tout de même – pour un État comme le nôtre – quelque chose qui montre que nous n’avons pas abandonné l’efficacité, le souci de sécurité et l’intervention rapide, par des gens super entrainés, admirables de professionnalisme et de courage. Il faut quand mêle employer les mots comme ils sont. De ce point de vue là, c’est un plus. Est-ce qu’il y a des failles ? Sûrement, oui, et c’est toujours la même histoire entre le bouclier – comme vous savez – et l’épée ou la balle, il y a toujours une surenchère qui se produit. S’il y a des failles, il faut les identifier et les corriger. On s’aperçoit, en Belgique, en Allemagne, en Grande-Bretagne que tous les pays rencontrent ce type de difficultés. Nous avons à nous adapter à des assauts qui sont nouveaux. C’est très difficile quand des gens ont choisi de mourir pour tuer. Toute faille doit être identifiée, corrigée et les améliorations nécessaires doivent être apportées sans retard.

Est-ce que vous trouvez qu’un esprit d’union nationale existe aujourd’hui en France ?

Alors, de quoi ont besoin les Français ? Les Français ont besoin de savoir que leurs responsables – de l’Etat, politiques, majorité et opposition – sont capables de se regrouper pour assurer leur sécurité.

Est-ce le cas ?

Non, ce n’est pas tout à fait le cas ou en tout cas, ce n’est pas le cas autant que l’on pourrait le souhaiter. Ce qu’il s’est passé hier à l’Assemblée nationale…

Comment le jugez-vous ?

C’est attristant.

Attristant ? La faute à qui ?

Vous voyez bien, la faute à l’esprit partisan. J’imagine ce qui a pu se passer : François Hollande a fait devant le Congrès un discours qui était à la hauteur de l’événement, et à la hauteur d’un certain nombre d’attentes des Français, y compris d’attentes des Français de l’opposition. Et puis il a été applaudi, debout, il y a eu une Marseillaise, et dans le pays cela a été un facteur rassurant. Mais ceux chez qui l’esprit partisan, la polémique politique l’emporte sur tout…

C’est qui ?

Ils sont nombreux et peut-être dans tous les camps.

Chez les Républicains ?

En l’occurrence hier, c’était très frappant dans certains rangs de l’opposition. Ils ont dit « on ne peut pas donner un succès comme cela au Président de la République » et donc ils ont choisi ce type d’invective.

Vous la condamnez ?

C’est vraiment ce dont les Français ne veulent pas. Nous étions dans un jour de deuil, nous connaissons tous des familles qui ont été atteintes par ce drame, dont parfois les enfants n’ont pas été encore identifiés et on a ce type de querelle mesquine ?

Donc ce n’est pas à la hauteur.

Ce n’est même pas que ce ne soit pas à la hauteur. Cela va à l’encontre de ce qu’un pays responsable et une opinion publique qui attend que ses élus se soudent voudraient.

On a bien vu que quelques-unes des propositions portées par l’ancien Président de la République et d’autres députés des Républicains ne faisaient pas l’unanimité à l’intérieur des Républicains. Monsieur Juppé, ce matin dans les colonnes du Figaro, a dit qu’il n’était pas d’accord, a même dit que la droite avait une part de responsabilité parce qu’elle avait supprimé des emplois dans la police. Est-ce que vous sentez une unité à l’intérieur même des Républicains, ou bien il y a des failles là-aussi ?

D’abord je ne juge pas les Républicains parce que je ne suis pas membre de ce parti. Mais disons que l’on voit bien qu’il y a deux lignes. La ligne qu’Alain Juppé a incarnée dans les colonnes du Figaro ce matin est la ligne dans laquelle je me reconnais et beaucoup de gens se reconnaissent. Ce n’est d’ailleurs pour moi pas une surprise, c’est la raison pour laquelle j’ai décidé d’aider ou de soutenir Alain Juppé. Je pense que ce serait une chance pour le pays. Cette ligne de responsabilité refuse d’avoir sur tous les problèmes une approche sectaire, manichéenne, c’est-à-dire de dire « tous les torts sont du côté du pouvoir », « l’opposition a raison sur tout », « c’était très bien avant 2012 et ce n’est pas bien après ». Vous voyez bien que ce n’est pas vrai évidemment ! J’ai été frappé en écoutant Nicolas Sarkozy s’exprimer dimanche soir. Il a à juste titre dit « vous vous rendez compte, un des terroristes a été condamné huit fois, pas un jour de prison ». Évidemment, s’il a été condamné huit fois, il s’agit de regarder la date ! La date, c’était entre 2004 et 2010, c’est-à-dire la période où Nicolas Sarkozy lui-même a été longuement au ministère de l’Intérieur et Président de la République. Il ne s’agit pas d’en faire une polémique. Je sais très bien que la responsabilité de l’État en face de ce type d’assaillants n’est pas une responsabilité facile à exercer donc je ne fais pas porter à Nicolas Sarkozy la responsabilité de tout ce qui n’allait pas avant.

Est-ce que les réponses pénales portées par Madame Taubira ne sont pas un peu décalées par rapport à ce que l’on vit ici en France ?

En tout cas, les réponses pénales qu’a évoquées le Président de la République dans son discours me paraissent adaptées. Et d’ailleurs ce sont les réponses pénales que demandaient les Républicains et le centre. C’est ce que j’avais demandé au Président de la République : qu’il puisse y avoir des assignations à résidence, que l’on ait des moyens de surveillance supplémentaires, que pour la surveillance du territoire on puisse avoir une garde nationale… C’est ridicule de rechercher l’origine des idées !

Qu’est-ce que l’on fait avec ces réservistes ?

Nous avons des armées extrêmement spécialisées, professionnalisées. Ces armées sont utilisées pour « crapahuter au pied des monuments publics » pour parler simplement. Ce sont des compétences qui ne sont pas utilisées comme elles devraient l’être. Nous avons à Pau la plus grande base d’hélicoptères de combat d’Europe. Il y a des techniciens spécialisés, des soldats, mécaniciens, qui sont parfois envoyés pour surveiller des monuments publics. Franchement, ce n’est pas une bonne utilisation. Ces fonctions postées de surveillance des monuments publics et lieux sensibles devraient être attribuées à une garde nationale. Si on prend des réservistes qui étaient sous les armes il y a encore quelques mois ou quelques années, ils sont formés et capables évidemment d’être utilisés ! On peut peut-être imaginer que des volontaires les rejoignent !

Les graves événements que nous vivons actuellement à votre avis font-ils le jeu de Marine Le Pen ou au contraire cela rassemble-t-il les Français derrière une légitimité élue et existante ?

Franchement ce n’est pas que je ne puisse pas vous répondre, c’est que je pense que cette réponse relève de l’analyse électorale et ce n’est pas le sujet. Le sujet que nous avons devant nous, c’est une grande inquiétude justifiée du peuple français, qui a besoin d’être défendu et d’avoir des responsables à la hauteur du défi qu’il voit bien apparaître sous ses yeux. Il y a un double défi : juridique et sécuritaire – qui est très important – et il y a un défi démocratique : le fait qu’un peuple soit capable au travers de ses représentants de relever les défis qui se posent à lui, que la vie politique soit à la hauteur suffisante pour rassurer les Français, ceux qui les ont élus.

Monsieur Bayrou, sommes-nous en guerre ?

Nous sommes devant une guerre intérieure et extérieure, qui n’ait pas de déclaration de guerre formelle, qui ne ressemble pas aux guerres que nous avons vécues lors du siècle précédent. C’est ce que l’on appelle une guerre asymétrique : un État, une société, un peuple d’un côté et de l’autre des forces décidées à les détruire quoi qu’il arrive. Oui, c’est un défi de guerre auquel nous devons faire face. Devant la guerre, l’union sacrée – comme l’on disait il y a 100 ans pendant la guerre de 14 – est évidemment à mes yeux tout à fait nécessaire à condition que le gouvernement lui-même prenne les décisions qu’il faut.

 

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