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Primaire : « dans un corps électoral réduit, l’excitation des plus durs pèse plus lourd »

Mouvement Démocrate, 8 avril 2015

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Invité de la matinale de Radio Classique | LCI ce matin, François Bayrou a évoqué tous les points d’interrogation pesant sur le système d’une primaire.

Nous sommes avec François Bayrou, le président du MoDem. Considérez-vous que la mort de Jean Germain est une tragédie personnelle ou une tragédie typique de la situation dans laquelle se trouve le monde politique aujourd’hui ?

C’est un drame personnel. Ce sont des êtres dont d’ailleurs on ne soupçonne pas toujours la fragilité mais qui ont des zones de fragilité. C’est vrai que lorsque des mises en cause judiciaires arrivent – qu’on considère assez souvent comme injustes et celle-là n’était apparemment pas une chose grave – c’est évidemment une secousse très importante et d’autant plus importante peut-être que Jean Germain, il y a un an, avait été battu à la mairie et peut-être que cet échec avait été pour lui une remise en cause ; et voir se surajouter une accusation judiciaire qui n’était pas une persécution – on n’avait pas des articles dans les journaux tous les jours, il n’était pas livré à la vindicte publique, ce n’était pas du tout cela.

Donc Gérard Larcher, le président du Sénat a tort lorsqu’il dit que l’on n’a tiré aucune conséquence de ce qu’il s’est passé depuis Pierre Bérégovoy ?

Il se laisse emporter par l’émotion.

Vous parlez de Larcher bien sûr ?

Oui. Le président du Sénat s’est laissé emporter par l’émotion, c’était un de ses collègues du Sénat et les responsables politiques ont l’impression d’être plus ciblés que les autres. Je ne suis sûr du tout que cela soit vrai, les chefs d’entreprise ont l’impression d’être ciblés.

Mais il y en a beaucoup qui ont ce sentiment, pardonnez-moi. Nicolas Sarkozy a eu l’impression d’être attaqué par la presse, Alain Juppé également, on se souvient de François Mitterrand et « les chiens ». Il vous arrive de vous faire conspuer dans des meetings.

Ce n’est pas du tout la même chose.

Mais il y a une violence qui règne quand même.

C’est un univers violent, mais la société dans laquelle nous sommes est violente, les médias sont violents, les TV en continu c’est violent, d’autant plus violent que c’est très éruptif – d’une seconde à l’autre, les événements s’imposent – mais je ne fais pas le rapport entre ceux-là et une persécution dont aurait été victime Jean Germain. Je pense qu’il y avait une fragilité personnelle, un sentiment d’être incapable de supporter et c’est cette vague de fragilité personnelle qui l’a emporté. Je ne vois pas d’autres explications d’autant que cette affaire, franchement, personne ou presque n’en avait parlé et c’était une affaire de branquignole, c’est à dire une tout petit abus qui faisait commercialiser des visites à la mairie – d’après ce que j’ai lu, je n’ai aucune information – où le maire posait en photo.

Avant d’aborder la question des primaires et la situation politique en général, le cas Jean-Marie Le Pen. D’ailleurs, est-ce un cas pour vous ? Est-ce que vous considérez, vous, que sa fille, pour des raisons qui vous appartiennent doit le sortir du jeu politique étant donné ses propos émanant dans Rivarol, « la race blanche », l’histoire de France dont il donne sa version, le FN qui serait devenu, je le cite, une sorte de « cage aux folles » etc etc ? Est-ce qu’il y a un problème Jean-Marie Le Pen maintenant pour tout le monde et pas seulement pour elle ?

Ce n’est sûrement pas mon affaire mais le jeu est transparent en tout cas, si l’on s’interroge sur le jeu. Jean-Marie Le Pen depuis très longtemps a choisi la transgression, de dire des choses qui étaient insupportables pour un grand nombre de ceux qui les entendaient. Il a choisi la transgression pour ne pas se faire oublier, d’abord pour promouvoir son mouvement et puis après pour rester lui en situation d’être un acteur majeur du jeu de son propre parti dont il a peut-être l’impression d’avoir été évincé par sa fille.

Est-ce que vous considérez qu’il n’a pas à être candidat aux régionales ? Après des propos pareils. Alors vous me direz que vous n’êtes pas membre du Front national.

Il n’y a pas de risques.

D’accord, mais est-ce que vous considérez que sa candidature serait une insulte à la fois à la mémoire, à l’Histoire, ou est-ce que, au fond, vous vous dites « Ce n’est pas à moi de m’en mêler, c’est à Marine Le Pen » ?

Vous voyez bien que tout cela va avoir des conséquences qui sont des conséquences d’opinions et des conséquences internes.

Je vous pose la question à vous.

Je pense que ses propos sont insupportables, mais je ne le pense pas depuis aujourd’hui. Quand il dit que les chambres à gaz sont un point de détail de l’Histoire, il ignore ou fait semblant d’ignorer ou provoque ceux qui savent que, au contraire, la liquidation industrielle de millions de femmes, d’hommes et d’enfants en raison de leurs origines et de leur religion est l’essence même du nazisme. Ce n’est pas un point de détail. C’est le cœur du nazisme. Et donc oui, c’est une provocation, il a déjà été condamné pour cela, il le sera encore.

Est-ce que vous considérez qu’il faut qu’il sorte du jeu politique ?

Mais je pense que les juges vont dire ce qu’il faut dire sur ce sujet.

C’est-à-dire que maintenant c’est une affaire de justice ?

Oui, c’est une affaire de justice.

Il faut que la justice s’en empare ?

Elle va s’en emparer. Il n’y a pas un Procureur de la République qui puisse ignorer l’offense qui est faite à nos lois. Mais c’est ce que Jean-Marie Le Pen cherche, il faut voir cela en même temps.

C’est-à-dire qu’il cherche la publicité ?

Oui, il cherche par la transgression à s’imposer comme le sujet ou un des sujets du jeu de son propre parti.

Ces primaires qui ont été adoptées par l’UMP et l’UDI, est-ce que vous êtes satisfait du processus qui est en train de devenir public ?

Je ne suis pas sûr que l’UDI les ait adoptées. C’est un choix de l’UMP et l’UDI est en train – en tout cas pour un certain nombre de ses membres – de s’y rallier. Je suis très réservé et très prudent et même rempli d’interrogations à l’égard des primaires. Premièrement, ce n’est pas la cinquième République. Dans la cinquième République, la sélection des candidats se fait au premier tour et pas au deuxième tour. Là, on invente une élection présidentielle à quatre tours : premier tour des primaires dans un camp, deuxième tour des primaires puis premier et deuxième tour de l’élection présidentielle.

Pardonnez-moi, mais c’est acté.

C’est acté pour l’UMP. Vous voyez bien qu’en plus, cela trouble considérablement la tenue même de la vie politique en France. On a eu deux années d’acclimatation pendant lesquelles pas grand chose n’a été fait et depuis ce moment on serait de nouveau dans l’élection présidentielle suivante. Le temps pour faire les choses et pour travailler n’existe plus ! Mais ce n’est pas l’essentiel de mes interrogations. L’essentiel de mes interrogations porte sur le fait que quand vous avez un corps électoral réduit, au lieu de vous adresser à 40 millions de Français, vous vous adressez à deux ou trois millions. Dans ce corps électoral réduit, l’excitation des plus durs, ceux qui veulent à tout prix que l’on cogne, elle pèse beaucoup plus lourd que dans un corps électoral large.

J’écoute et je vous connais : cela veut dire Nicolas Sarkozy. Ce principe a été accepté par votre ami Alain Juppé.

C’est même lui qui l’a demandé.

C’est bizarre : vous soutenez quelqu’un mais vous ne soutenez pas ce qu’il réclame.

On n’est pas obligé d’avoir absolument les mêmes opinions sur tout. J’ai dit à Alain Juppé – et il connaît bien mon sentiment sur le sujet – mes interrogations et mes réserves. J‘ajoute une troisième question : cela veut dire que l’on serait obligé tous d’appartenir à un des deux camps. La vie politique serait divisée en camps ! Et comme vous le savez, cette idée ne me va pas. Je trouve que ce n’est pas une idée civique. On a le droit heureusement de proposer autre chose que les deux camps qui détiennent le monopole du pouvoir depuis des années. Donc sur ces trois sujets, un la cinquième République, deux le poids plus lourd qui est accordé aux plus durs, à ceux qui veulent des affrontements et trois, le fait que cela classe la vie politique en clans, j’ai en effet des interrogations, mais nous verrons bien.

Est-ce que par exemple si Alain Juppé perd, vous pourriez vous présenter au premier tour de l’élection présidentielle ?

Je serai libre de mon choix. Je le suis aujourd’hui et je le serai demain. Je ne réfléchis pas à l’élection présidentielle pour moi, je réfléchis à l’élection présidentielle pour ce qu’elle va entraîner pour la France.

Le vainqueur de la primaire va dire « si François Bayrou se présente, il va faire le jeu du Front National, il empêchera éventuellement le candidat de la droite d’accéder au deuxième tour ».

Je vous répète que si Alain Juppé est choisi, je le soutiendrai et j’aurai un accord avec lui qui ne sera pas difficile à trouver. Deuxièmement, l’idée que l’on se trouverait dans une situation où quelqu’un comme moi ou des millions de personnes se trouvent devant la table de vote et en dehors de l’extrême-gauche, il y aurait trois bulletins sur la table Hollande-Sarkozy-Le Pen, est-ce que nous trouvons notre bulletin, nous ? Nous, je veux dire les millions de Français qui depuis des années rêvent que la politique française change.

Donc vous avez déjà acté la défaite d’Alain Juppé et vous réfléchissez à y aller ?

Pas du tout. Vous me dites « si Alain Juppé était éliminé », je réponds que dans ce cas-là, il y aurait trois bulletins sur la table qui seraient Hollande-Sarkozy-Le Pen et un grand nombre des Français dont je suis ne trouveraient pas la voie qu’ils considèrent être l’avenir du pays. C’est une question que l’on n’élude pas facilement parce que contrairement à ce que vous croyez dans le feu de la discussion, ce n’est pas un jeu. Donc je réfléchirai et je serai libre des choix que je ferai à cette époque-là si cette hypothèse se présentait, ce que je ne souhaite pas.

 

 

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