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Sylvie Goulard : « Zone euro : Berlin et Paris doivent respecter les règles »

Les Échos, 18 mars 2015

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À l’occasion de la visite du Premier ministre Valls à Bruxelles, Sylvie Goulard, députée européenne ADLE, publie un article dans les Échos sur l’importance de perfectionner l’État de droit dans l’Union économique et monétaire.

Faut-il s’étonner que la troïka (Commission, Banque centrale européenne, Fonds monétaire international), créée sans base juridique, pilotée sans contrôle, soit vilipendée en Grèce ? Ou bien que l’octroi, sans débat public ni recours possible, d’un délai supplémentaire à la France pour réduire son déficit budgétaire sape la confiance mutuelle ?

La faille principale de l’euro tient au caractère inachevé de l’Etat de droit. Dans tous les Etats membres, la puissance publique rend des comptes à un Parlement et est soumise au droit, sous le contrôle de juridictions indépendantes. Si le niveau européen continue de s’affranchir de ces exigences, le ressentiment ne cessera de croître. Que faut-il de plus pour que nos gouvernants agissent ? Que l’hostilité entre la Grèce et l’Allemagne dégénère au point que la zone euro se disloque ? Que les inégalités se creusent et que les partis xénophobes progressent encore ?

Les responsables prétextent que les peuples ne veulent pas aller si loin. Mais le leur a-t-on jamais proposé ? Il y a fort à parier que nos élites nationales rechignent surtout devant le changement d’échelle. On a rarement vu des citoyens préférer l’arbitraire à l’équité.

Le traité de Maastricht a exclu tout contrôle de légalité des décisions de la Commission européenne et du Conseil dans l’Union économique et monétaire, celles-ci prenant en effet la forme de recommandations inattaquables (art. 263 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). Tout « recours en manquement » d’un Etat membre ou de la Commission contre un Etat ne remplissant pas ses obligations a également été écarté (art. 126.10 excluant les art. 258 et 259). En mettant hors jeu la Cour de justice européenne, les gouvernements ont privé les Européens d’une garantie contre les abus, en encourageant le risque de deux poids et deux mesures.

A Paris, une grande partie de la classe politique récuse « le gouvernement des juges », au nom de la souveraineté budgétaire du Parlement. C’est un mauvais prétexte quand on sait combien le Parlement s’est peu impliqué dans le contrôle des soutiens à la Grèce, par exemple. Si les juges peuvent décider du destin d’un être humain dans le coma, ils peuvent vérifier le respect du Pacte de stabilité et de croissance.

Des deux côtés du Rhin, les politiques cherchent en réalité à garder les mains libres. Ainsi, ils réussissent un tour de passe-passe : se présenter comme un rempart (contre les « technocrates », les juges) alors que ce sont les promesses démagogiques des campagnes électorales, la pusillanimité dans les réformes et, de manière générale, la négation de l’interdépendance internationale par les responsables politiques qui expliquent en grande partie les difficultés de la zone euro.

Il serait temps de sortir du jeu de rôle un peu vain dans lequel les Français et les Allemands s’enferment, perpétuant ensemble un statu quo peu satisfaisant.

Tout en prétendant vouloir un strict respect du droit, les responsables allemands de tous bords se sont arrangés avec les règles. En 2003, Berlin tordait le Pacte de stabilité et de croissance, avec l’appui de Paris et la complicité de Rome. Envers la France, qui est sous le coup d’une procédure de déficit excessif depuis 2009, le gouvernement fédéral fait preuve d’une extraordinaire complaisance. Comme en 2010, à Deauville, la chancelière avait déjà privilégié sa relation avec Nicolas Sarkozy, elle ménage désormais François Hollande, principal allié face à Poutine. Le traité budgétaire qu’elle a inspiré, en 2012, ne met en place aucun mécanisme européen sérieux, parlementaire ou juridictionnel, pour en assurer le respect.

Tout en prétendant vouloir une union « politique », rares sont les responsables français qui admettent le partage de souveraineté lié à l’euro et à l’interdépendance qui en découle. La France ne peut pourtant pas borner son ambition à minimiser ses engagements. Paradoxalement, l’Union économique et monétaire a surtout besoin d’une Allemagne plus sérieuse sur le terrain du droit et d’une France moins timorée sur le terrain politique.

 

 

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